
LETTRE à ma très chère et tendre Béatrice URIA-MONZON
Il y a plus de 25 ans tu avais accepté d’être la marraine envoûtante du Festival Eclats de Voix auquel tu es restée fidèle jusqu’à ton dernier souffle.
Il y a plus de 25 ans notre amitié n’a pas faibli. Nous partagions, lors de nos échanges, les confidences les plus intimes sur nos vies, parfois complexes, avec surtout les joies et les douleurs qui ont jalonné notre vie affective.
Tous les superbes hommages que je lis parlent de toi comme une Diva. Mais tu étais tout sauf une Diva car ta simplicité, ta générosité, ton art de vivre, ton écoute, ton souci du bien des autres ont fait de toi, non pas une nouvelle étoile dans les cieux, mais un soleil chaleureux qui savait réchauffer le cœur et l’âme, sans caprice, mais avec un sacré tempérament. Tu étais, pour moi, ma Reine de mes amies avant d’être marraine du festival.
Certes la beauté de ta version de l’opéra de Bizet a fait de toi LA CARMEN du XX° siècle et t’a propulsé sur les chemins mondiaux de ta renommée. Tu étais alors la plus convoitée des mezzo-sopranos.
Mais résumer ta carrière à ce seul succès serait inapproprié. Moi qui t’ai vu travailler avec acharnement, autour de ton piano siégeant dans ta belle maison de Lusignan-Grand, j’ai assisté à la métamorphose progressive de ta tessiture qui s’affirmait au cours des nombreuses prises de rôle que l’on te confiait. Tu étais devenue la puissante soprano dramatique que les grandes scènes s’arrachaient en puisant toutes tes forces dans des livrets où certaines langues étaient incroyablement dures à apprendre.
Bien sûr tu vas nous manquer mais ce qui m’attriste profondément c’est la perte de cette amitié qui nous amenait à prendre des nouvelles intimes, la vie, l’un de l’autre. Tu avais su m’héberger pour me réconforter, j’écoutais tes sentiments, et finalement d’histoires en histoires, douces ou tristes, un lien nous unissait : le rire à gorge déployée. On en parlait récemment quand tu m’annonçais la terrible nouvelle dont je connaissais l’issue fatale (n’oublie pas que je suis médecin) mais pour laquelle je te laissais exprimer le secret espoir qui pointait son nez malgré les signes que je repérais dans ton langage.
La dernière fois que nous nous sommes parlés, c’était il y a quelques semaines, ta lucidité te faisait me dire « Patrick je vais mourir dans 3 à 4 mois ». Tu me racontais la préparation de cet « après » notamment auprès de ta chère fille Cassiana (qui a réalisé tes plus belles photos), tout cela, résignée par le hasard et la génétique familiale dont tu me parlais. Jamais tu ne pleurais sur ton sort (même si cette vie de multiples récitals avait commencé à te lasser), et le comble de l’amitié : tu demandais de mes nouvelles comme s’il t’était impossible d’arrêter de donner, même au seuil du grand voyage.
Ma douce Béatrice je pleure à chaudes larmes cet avenir foudroyé mais je pense à nos rires entrelacés qui m’ont fait t’adorer et je m’en veux de n’être pas venu à temps, comme promis, déposer un doux baiser sur ton visage lumineux.
Tu es toujours dans mon cœur et celui-ci saigne aujourd’hui.
Patrick de Chirée