Notre messe indienne
Comme la plupart des Sud-américains, je pense souvent à la célèbre date du 12 octobre 1492, date à laquelle l’histoire universelle a donné le nom de « Découverte » de l’Amérique. Je voudrais ici citer le célèbre écrivain uruguayen Eduardo Galeano, à propos de ladite « Découverte » :
« En 1492 , les aborigènes ont découvert qu’ils étaient “indiens”,
Ils ont découvert qu’ils vivaient en Amérique,
Ils ont découvert qu’ils étaient nus ;
Ils ont découvert qu’il y avait le péché,
Ils ont découvert qu’ils devaient allégeance à un roi et une reine d’un autre monde
Et un dieu d’un autre ciel,
Et que ce dieu avait inventé la culpabilité et la robe
Et il commanda que soient brûlés vifs
Tous ceux qui adorent le soleil et la lune et la terre et la pluie qui la mouille. »
A partir de cette date, la musique et la culture des Amériques ont été rebaptisées « pré » et « post » colombiennes, formant un véritable univers culturel d’une richesse incommensurable dont l’effervescente évolution se perpétue jusqu’à nos jours. Sans doute, on pourrait affirmer que la musique américaine a contribué (et continue à le faire) généreusement au patrimoine musical universel, en particulier depuis ces deux derniers siècles et à travers les genres populaires, tels que le jazz, le tango, la musique brésilienne, la salsa, la musique cubaine et vénézuélienne (pour n’en citer que quelques-uns).
Lorsque Luis Rigou m’a proposé de monter la Misa Criolla d’Ariel Ramírez, les phrases de Galeano me sont venues à l’esprit, ainsi que d’innombrables mots isolés tels que sang, conquête, honneur, jésuite, indien, ambition, épée, barbarie ou silence. J’ai hésité à accepter la proposition mais Luis m’a finalement convaincu. Le défi était énorme. Après presque une année de réflexion et compte tenu de mon incapacité à concevoir un album sans une « histoire » ou un « argument », nous avons divisé le travail en deux parties : la Misa Criolla d’un côté et de l’autre, une série de morceaux représentant un voyage vaste et varié à travers l’histoire de la Cordillère des Andes et du plateau du Collao partagé par le Pérou, la Bolivie et le Chili : des mélodies précolombiennes, en passant par la musique populaire coloniale pour finir dans des compositions modernes inspirées des propos de Galeano. Ainsi, notre « messe indienne » parcourt un large chemin depuis les cultures précolombiennes jusqu’à la musique de notre temps, en se concentrant particulièrement sur le riche syncrétisme religieux d’Amérique latine.
Eduardo Egüez