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La voix dans tous ses éclats !

Biographie Daniel Melingo

Daniel Melingo est un personnage radical. Sa musique d’insomniaque et sa voix des bas-fonds surgissent du monde du tango des origines, du « prototango » comme il le dit lui-même. Et ce n’est pas par hasard. L’animal quelque part situé entre Tom Waits, Paolo Conte, Nick Cave et Corto Maltese sait et affirme, après avoir fait le grand tour par un rock’n’roll déjanté (avec le groupe mythique de l’Argentine des années quatre-vingt-dix Los Abuelos de la Nada), que la modernité est dans le passé. Ses histoires insolentes, sous forme de rêves éveillés, de tangos quelquefois et de polars, swinguées de cordes et de soufflets, de bruitages interlopes et de chœurs d’hommes de pontons et d’escales, sont un écho grinçant et quasi dadaïste à la folie d’un monde claudiquant, boosté aux stupéfiants.

© AlfredoSrur

Craquements de vinyle ou plus encore de 78 tours… « Je renverse le verre de mon anxiété… surgit une sensation… j’étreins dans mes bras le vide… glacial, mon âme… cet amas de doutes… aujourd’hui n’est que pure cicatrice… c’est la croix que tu m’as laissée... Les ombres se dérobent… » D’emblée l’homme pose le décor avec travellings et arrêts sur image. Par touches cinématographiques, se tisse le fil d’un scénario de Melingo le conteur. Car après Goyeneche « el polaco », après Edmundo Rivero, Melingo n’est plus exactement chanteur. Interprète halluciné de sa propre mythologie, il est l’artiste total, l’architecte d’un monde sonore épais qui croise métal et baroque, folie et paresse. Un romantique en somme, avec l’ivresse en plus. C’est la voix de cet homme de la fin du dix-neuvième siècle venu chercher fortune, qui, en attendant, passe la nuit à jouer aux cartes ou aux osselets et à toiser ses camarades, dans l’embouchure du Rio de la Plata. C’est la voix du « compadre », sorte de caïd entre gaucho et mafieux sicilien qui boit son spleen et trimballe son harmonica sur un air de « rebétiko » grec, avec une suspension presque tzigane. Rien d’anormal : comme Corto, Melingo dit que se mêlent en son sang toutes ses origines - imaginaires ou réelles qu’importe. Comme tout bon « Porteňo » (habitant de Buenos Aires) qui se respecte, il est un descendant des… bateaux. Alors bien sûr, rarement l’appellation « musique du monde » n’a aussi bien collé à la peau du tango que quand Melingo s‘en empare…

Vertiges et instants vacillants. Sa musique portuaire, son blues à lui par définition, il le joue avec cet art du marlou borgésien qui traverse la chaussée du destin au feu vert, et manque de se faire renverser à chaque pas. Corazón y Hueso développe une mystique souterraine, abrite ses losers, son univers carcéral avec ses détenus tatoués, ses personnages aux mains striées comme des cartes de géographie qui parlent le « lunfardo », argot de la capitale et idiome secret inventé à l’abri des geôliers. Ces hommes, quand ils sifflent un air ou esquissent une danse – tango, folklore ou milonga, qu’importe -, celle-ci s’appelle « canyengue » (canaille). Elle ressemble à un combat.

Après Santa Milonga et Maldito Tango, les deux albums précédemment parus en France, ce Cœur et Os, croisement du couteau et de la romance, valse-hésitation de la bravade et de l’innocence, prend plus que jamais souche dans cette atmosphère d’hommes aux aguets, mais se nourrit aussi d’un romantisme quasi inédit jusqu’alors. Hallucinations, spirales de l’esprit, l’homme rêve qu’il dort ou se croit mort dans une nuit et une pluie d’harmoniques décalées, un télescopage de ritournelles à la Nino Rota et d’élans lyriques. Intime et pétris de « rubato » - mouvement flottant sur le tempo –, ce disque-là, de loin son plus audacieux musicalement parlant, ouvre désormais en douceur l’horizon de ses protagonistes.

La patte de l’excellent multi-instrumentiste Rodrigo Guerra (à la guitare électrique notamment, et conseiller en production) n’y est pas pour rien. L’enregistrement in situ dans le mythique studio ION de Buenos Aires non plus. Corazón y Hueso, avec ses ponts instrumentaux, l’élasticité de son espace sonore, ses larges fenêtres données aux maestros qui érigent l’édifice tels le guitariste Diego Trosman, les frères Nini et Rudi Flores (à la guitare et à l’accordéon) avec leur « chamamé » du littoral, est aussi, à l’image de la diversité des musiciens qui s’y côtoient, un voyage à travers l’Argentine. Du nord, jaillies de l’air humide plein de moustiques et de légendes de pêcheurs, des mélodies languides et des effluves de « chamarita ». Plus loin, une fable échappée d’un tableau de Chagall conte un bal d’animaux musiciens et d’insectes amoureux. Singe violoneux, rat accordéoniste, cheval bandonéoniste, avec danse de couple et génuflexions de rigueur ; en écho, un chœur d’enfant d’une petite école de Corrientes ou de Resistencia. Le funambule dort-il ? Rêve t-il ? À la fin du film, il ne sait plus s’il est mort ou fou.

Une fois de plus, Melingo a inventé l’impossible. Et c’est tant mieux.

Emmanuelle Honorin